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Ma Voix
8 décembre 2005

Banlieue-sexuel !!

Il a bonne mine, l'übersexuel, par David Abiker

onc le nouvel homme est arrivé. Il a choisi l'automne pour se manifester. Le nouvel homme s'appelle Hubert, pardon : Über — Über pour Übersexuel. Il est à la fois masculin et sensible. Poilu dehors, centriste à l'intérieur. Viril sur le bord, mais tellement tendre au-dedans... Le nouvel homme est bien entendu fémino-compatible — mieux : soluble dans les valeurs de la société maternante, dont il n'est plus le protecteur mais l'auxiliaire. Il est bien sûr célébré dans les magazines féminins et dans les magazines tout court. Le nouvel homme est un cocker bien pensant à fort pouvoir d'achat.

L'homme nouveau est bien sûr politiquement correct. Il est pour la forêt, il aime les bébés, soigne sa peau et méprise les 4×4. Il a des principes qui lui évitent d'être pris en défaut quand son bonheur de papier glacé fait tache d'huile à côté d'une misère parfois trop criante. Cet homme est idéal. Il paraît qu'il ressemble à George Clooney. C'est dire. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le nouvel homme fait son apparition une fois tous les deux ou trois ans pour inspirer les "unes" de la presse. C'est son grand mérite : faute de s'incarner, il s'imprime. C'est tour à tour un nouveau père, suivi d'un métrosexuel, rattrapé à la rentrée d'après par un père recomposé mâtiné d'un hy-père sensible, à moins qu'il ne soit en voie de décomposition après avoir été le métro-patriarche d'une famille en miettes.

Evidemment, c'est fou ce que l'homme est nouveau et tendance quand il a le porte-monnaie garni. Car ne nous y trompons pas, l'homme de la rentrée a ceci de commun avec l'homme de la rentrée précédente : il consomme, zappe, jette et donne la papatte à madame, qui l'entraîne avec elle dans d'étourdissants shopings bio, durable, in, out, etc. Un couple durable, pour le meilleur de la consommation ; jamais pour le pire. L'homme nouveau est comme le monstre de Frankenstein : c'est la création d'un expert en lames de fond civilisationnelles (un sociologue branché, en fait). On reprochait aux élites d'ignorer la réalité. Les tendanceurs font pire : ils la réinventent. La créature mâle de la rentrée se nourrit donc au lait du politiquement correct et de cet aveuglement collectif qui nous mène de déconvenue en surprise à mesure que nous découvrons que les Français (et les Françaises) échappent toujours plus aux stéréotypes des chasseurs de socio-types.

Car l'homme de la rentrée, tout nouveau qu'il soit, n'est pas l'Über ni l'Hubert, et encore moins un Gilbert sexuel ! L'homme de la rentrée n'est pas celui que l'on croit. L'homme de la rentrée serait sans le sou, légèrement "vénère" (énervé), et porterait rabattue sur les yeux la cagoule de son sweat-shirt. L'homme de la rentrée n'est pas sorti d'un bureau de style — hélas pour le propriétaire de l'Opel Astra garée dans le parking de la cité. L'homme de la rentrée ne sort de rien. L'homme de la rentrée vit en banlieue le plus souvent, et, contrairement à ce qu'on nous annonce, il n'est pas vraiment satisfait de son urbanité, encore moins du monde qui va comme il va. Il se moque du développement durable comme de ses premières Nike. L'homme de la rentrée est complexe, difficile à saisir, compliqué. Et, bien sûr, ses pulsions n'ont rien de consumériste, même s'il aimerait bien consommer davantage. L'homme de la rentrée a 16 ans et il nous pose un problème.

"LOU RAVI"

Que fait la police ? On le sait. Que font les bureaux de style ? On le sait moins, à part vendre à la "une" de tous nos journaux un nouvel avatar de "lou ravi"— le fameux Hubert qui épate la galerie par sa douceur ferme et sa fraîcheur mentholée. A vrai dire, on aurait préféré que les pros de la tendance, les as du sociétal et les futés du métro-comportement nous préviennent non pas de l'arrivée d'Hubert, mais plutôt nous renseignent sur le ras-le-bol de ce jeune banlieusard qui n'en peut plus. On aurait même pu l'appeler le Faubourg-sexuel, pour leur faire plaisir. Mais, hélas, on n'avait pas prévu ça. On n'avait pas anticipé cet homme-là. Pourtant, cela aurait été utile. Car, à force d'inventer chaque année l'homme nouveau pour le plus grand bonheur des marques et des têtes de gondole, on en oublie de s'intéresser au vrai bonhomme, au quidam, à l'homme de la rue. Cette ignorance qui nous fait troquer la tendance pour le réel, l'hypothèse pour l'observation, la généralité pour la somme des cas particuliers, nous la payons cher.

Tandis que les bureaux de style s'intéressent à l'homme qui se dépense et qui dépense, ce messie narcissique et commode pour éditorialiste en mal de sujets, la réalité vient démentir la tendance.

A quoi sert donc de questionner l'avenir de nos comportements si la question n'a pour ambition que de décrypter ce qui se passe au rayon cosmétique ? Les bureaux de style n'ont pas vu surgir l'homme de la rue avec sa déprime, ses bagnoles qui brûlent et sa ferme intention d'échapper aux règles non écrites du marketiquement correct.


DAVID ABIKER Essayiste

Article paru dans l'édition du Monde du 07.12.05

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